samedi 10 mars 2012

Interview Claire-Lise Marguier



Photo de l'auteur sur son profil Facebook

En tant que curieuse professionnelle j'ai réussi à poser un sac énorme de  questions à Claire-Lise Marguier, auteur de le faire ou mourir (ma chronique  se trouve  ) paru chez les éditions Rouergue. Je la remercie donc d'avoir répondu aussi vite et aussi gentiment (et de ne pas s'être enfuie devant la vingtaine de questions qui sont apparues d'un coup sur son écran  d'ordinateur), et vive les mails quoi...





Une petite présentation de l'auteur?
32 ans, mariée, maman d’un petit garçon de 5 ans, aide-soignante dans une maison de retraite, métier passionnant.



Comment est venue l'idée du roman?
En lisant un fait divers malheureux qui m’a extrêmement touchée. J’évite un maximum la presse, surtout lorsqu’elle résume un drame en dix lignes, mais cette fois je n’ai pas pu faire autrement que de lire l’article et j’ai été bouleversée. Un jeune homme de 17 ans avait pris une arme dans la collection de son père, avait tué des élèves de sa classe, des professeurs, puis était sorti dans la rue pour tuer des passants, avant d’être pris en chasse par la police et de retourner son arme contre lui. Autant j’étais peinée pour les victimes innocentes, autant savoir qu’un adolescent pouvait mettre un terme à sa vie de cette manière m’a profondément marquée, surtout avec les commentaires des personnes qui étaient autour de moi et qui jugeaient le drame sans rien connaître de la vie de ce jeune homme. J’ai d’ailleurs intégré au texte certain de ces commentaires (c’est un meurtrier, il vaut mieux qu’il se soit tué, etc.…) Je me suis demandé ce qui avait bien pu se passer dans sa vie les 6 derniers mois pour en arriver à cette extrémité et j’ai eu envie de l’écrire, mais rien que pour moi, pas du tout dans l’intention de le faire lire et encore moins de publier. 

Vous êtes-vous inspirée de votre vécu?
Pas du tout ! Je ne connais ni les scarifications, ni un mal-être au point de penser au suicide, j’ai un tempérament foncièrement optimiste qui s’accommode de tout, pour peu que je prenne un peu de temps pour digérer les choses. Je me dis toujours que ça ira mieux le lendemain. Néanmoins, je crois qu’on a tous des moments où on va moins bien, des petits coups de blues, et je n’y échappe pas. Ce sont d’ailleurs pour moi des moments propices à l’écriture. Je me suis inspirée de ce que l’on ressent dans ces moments en exagérant.

D'où vient cette envie d'écrire?
Aucune idée. J’ai toujours écrit. Journal intime beaucoup, comme toutes les filles, des lettres à une amie imaginaire. Des poèmes, des textes courts pour le plaisir de mettre en scène des personnages, des récits, rien de vraiment abouti. Je me dis souvent qu’écrire c’est un peu –pardonnez-moi l’expression– une forme de masturbation ; un plaisir intime et immédiat. Ma première vraie nouvelle date de l’époque de mes 11 ans, puis j’ai quand même présenté un texte, « l’enfant supplice », au prix du jeune écrivain de Muret, je devais avoir 18 ans. Le texte a été bien reçu et a suscité de bonnes critiques, néanmoins il n’était pas assez abouti pour obtenir un prix. Je n’ai pas retenté l’expérience ; retravailler les textes écrits sous l’impulsion ça ne me correspond pas vraiment.

L'horrible scène de carnage dans le lycée, ça vient d'où?
Ah cette scène elle choque tout le monde ! Mais la plupart des gens la trouvent exagérée et peu réaliste. C’est pourtant la seule part de réalité, puisque tout le reste est totalement inventé. Je ne me suis pas du tout renseignée sur le cas du jeune homme du fait divers avant d’avoir écrit mon histoire. Je ne voulais pas que ça m’influence.

On trouve dans votre livre un soutien notable pour les adolescents homosexuels, c'est important pour vous d'assumer ses différences?
Je ne me suis pas rendue compte. J’ai écrit comme je le sentais. La question d’homosexualité était secondaire pour moi. Quant à assumer ses différences, oui forcément, parce qu’on ne vit pas pour faire plaisir aux autres en restant dans les cases qu’ils ont inventé. Après, savoir si c’est facile est une autre histoire. Mais forcément, plus on est ouvert et tolérant, plus on rend les choses faciles.

Comment s'est passé l'écriture, la publication et l'avis des lecteurs?
J’ai écrit en moins de trois semaines. Je venais de terminer me premier tome d’une trilogie vaguement fantasy que j’écris pour mon plaisir. J’avais envie de couper avec ses personnages qui m’occupaient l’esprit et d’écrire quelque chose d’un peu plus vrai, réaliste, du moins contemporain. 
J’avais une vague idée de ce que je voulais, le fait divers tournait dans ma tête en même temps que l’album d’Indochine Alice&June, que je découvrais bien après tout le monde. Cette ambiance noire et romantique a agit comme catalyseur sur mon écriture, et j’ai démarré l’histoire de Dam en commençant par la fin – la première. 
Puis j’ai écrit les scènes principales que je voyais comme un film. J’ai donné deux ou trois traits de caractère à Dam, et il a fait le reste tout seul. Je dis souvent que c’est lui qui m’a écrit plus que moi je ne l’ai écrit. Je me suis laissée portée par l’écriture. Je la voulais fluide, à la manière du journal intime. La narration à la première personne s’est imposée et je l’ai gardée. Les dialogues se sont coulés dans le texte, je n’avais pas envie des tirets traditionnels qui auraient rompu la pensée de Dam, je suis bien contente que l’éditeur ait conservé cette mise en forme. 
Quand j’ai eu fini mon histoire, elle s’arrêtait sur la première fin. Elle était entièrement bâtie sur un mode crescendo de frustrations qui devait aboutir au drame. J’ai mis un point final et normalement j’aurais dû être satisfaite, mais ça n’a pas été le cas. Je n’ai pas cessé d’y repenser durant des jours. Je me demandais sans arrêt s’il n’y avait pas une autre option. Si la fin ne pouvait pas être autrement. J’ai réfléchi à ce que je pouvais changer, et un soir j’ai dû me relever pour aller écrire une autre fin, histoire de voir si ça collait mieux. J’ai décidé de garder les deux. Pour moi, elles ont chacune de la valeur que parce que l’autre existe. L’une sans l’autre n’a aucun poids. 
Une amie l’a lu, a adoré, et a insisté pour que je l’envoie à un éditeur. Je n’y croyais pas du tout, mais elle a tellement insisté que ne serait-ce que pour avoir la paix, j’ai pris la liste des éditeurs en commençant par Z, et j’ai envoyé mon manuscrit, sans y croire, à trois éditeurs. Le Rouergue m’a répondu dans les 15 jours, et ils ont gardé le texte tel quel, à 3 mots près. Je n’en reviens toujours pas. 
Ce qui s’est passé ensuite tient du miracle. Il y a des gens qui m’écrivent pour me remercier d’avoir écrit ce livre, parce qu’il leur a permit de se réconcilier avec des proches… J’ai du mal à me rendre compte de l’impact que ça peut avoir sur les gens, mais j’en suis très touchée.

Les thèmes de la scarification et de l'isolement sont aussi dans votre livre, pourquoi?
C’est ce qui est naturellement venu. Je n’ai pas réfléchis à des thèmes, ni à des causes à défendre, j’ai réfléchis à un jeune homme sensible, un peu dépassé par le cours de la vie comme on peut l’être nous même. L’idée des scarifications est venue toute seule, comme moyen d’extérioriser ses douleurs et ses frustrations. Après j’ai joué sur le vocabulaire qui coupe et qui tranche. Je voulais montrer un personnage qui a plus que tout envie de vivre et qui en arrive malgré tout à se tuer, parce que vivre est trop difficile pour lui, qu’il ne trouve pas les ressources. Le sang était une façon de maîtriser cette vie. Mais là j’ai complètement fantasmé, je ne fais pas de psychologie !

Votre adolescence était-elle rose ou noire?
Entre les deux ! Ni tourmentée ni idyllique, j’étais quelqu’un d’assez solitaire qui fuyait les groupes et les clans. Je passais mon temps à écrire et à rêvasser. J’étais assez anxieuse, pétrifiée à l’idée de sortir et de faire des rencontres. Je le suis toujours même si je me domine !

Imaginons un fan qui vous dise: "je veux faire un film avec votre livre!", quelle est votre réponse? 
Oui si c’est Xavier Dolan ! 
Non sans rire, pourquoi pas ? 

Votre top lecture en ce moment?
Aïe ! La question qui tue ! Je ne lis pas, ou peu. Ma lecture en cours c’est « le ravissement de Lol V. Stein », de Duras. Mais je galère dessus. Juste avant c’était « La Délicatesse », de Foenkinos, « Neige Rien » de Valérie Rouzeau, et les « Mauvais Anges » de Jourdan.

Comment expliquez-vous les réactions familiales chez Dam?
Je ne les explique pas. 
J’avais envie de sortir un peu des clichés de famille éclatée, de parents qui démissionnent et d’enfants à problèmes. Je voulais que Dam fasse partie d’une famille normale, bien sous tout rapport, ordinaire. Je ne voulais pas que ce soit la faute des parents, et malgré tout je me suis retrouvée à décrire une famille indifférente, pas maltraitante au sens strict du terme, mais qui finit par peser sur Dam qui est un garçon sensible. Imaginons un ado plus serein, qui aurait un caractère plus affirmé, il passerait son temps à se battre avec sa sœur et à répondre à son père. 
Je pense que cette famille est cantonnée dans ses idées et qu’elle a du mal à en sortir. Mais si le père brime Dam, il croit le faire pour son bien, pour pas qu’il foute son avenir en l’air à cause de ce qu’il croit être de mauvaises fréquentations. Les intentions sont louables, même si les moyens ne sont pas les bons. Je n’aime pas qu’on en veuille au père, même s’il est énervant. 

Aviez-vous un message à faire passer aux lecteurs?
Un message à faire passer à moi-même plutôt, puisque je n’imaginais pas que ce texte puisse être lu. Mais en effet, je voulais que l’on soit conscient du poids de nos mots ou de nos non-mots dans la vie des autres, de l’influence qu’on peut avoir sur eux et eux sur nous. Qu’on est tous, à un degré où à un autre, un peu responsables quand un drame survient, et que c’est toujours plus facile d’accuser les parents, l’école, la société, les jeux-vidéos, internet, les réseaux sociaux, la folie etc.… 

Un maître écrivain à respecter plus que tout?
Aucun. Je lis très peu, le minimum vital, parce que ça me prends du temps sur l’écriture qui m’est indispensable. Mais j’aime bien Duras ; plus je lis, moins je comprends mais plus j’aime. C’est irrationnel. J’aime Michel Tournier aussi, et Eric Jourdan. Littérature plutôt érotique pour Jourdan, mais un pro des sentiments et des sensations, j’admire cette capacité à retranscrire des flashes d’émotions que je peine moi-même à démêler. J’aimerais savoir écrire comme lui.

Sur quel genre de personnage aimeriez-vous écrire à présent?
Je réfléchis à une histoire d’amour entre un frère et une sœur. Quelque chose qui serait beau et envoûtant, et qui laisserait mal à l’aise. Mais rien n’est fait. J’aime bien des personnages tortueux, ambigus, même si je suis loin d’exceller dans ce domaine. Mais c’est en forgeant… etc.…

Le prochain c'est pour quand et ça parlera de quoi?
S’il est publié… ce qui est loin d’être le cas, le texte sur lequel je travaille est un huis-clos très intimiste, à la fois beau et pervers, entre deux personnages, un qui détient l’autre dans sa cave, et qui ressentent l’un pour l’autre une sorte de fascination et d’adoration. On n’est plus dans la littérature ado.

En ce moment, la vie pour vous c'est beau?
La vie c’est magique, même quand ça va mal. Ça passe trop vite pour faire la fine bouche !

2 commentaires:

Tonia a dit…

Merci pour cette interview. J'ai beaucoup aimé ce livre, c'est intéressant de lire les propos de l'auteure sur certains éléments...

Olive a dit…

Ayant adoré le livre aussi j'avais vraiment plein de questions à poser à l'auteur. Je suis ravie que l'interview te plaise. ^^